jeudi 19 avril 2007

SA - Scène VIII à XIII


8. INTERIEUR – CHEZ SAM – JOUR PLUVIEUX.

SAM se réveille brusquement. Il se redresse, s’assoit sur le rebord du lit et tente de chasser le sommeil. Un coup d’œil à sa montre. Onze heures. Il se frotte le visage et se lève. La lumière de son répondeur clignote. Il actionne le bouton et va se servir un café. Après le « VOUS AVEZ UN MESSAGE », nous entendons :

KAMEL
SAM, c’est KAMEL. Désolé frangin, mais je dois annuler notre virée de ce week-end. On est tous sous pression au journal. Les attentats font vendre. Le rédac’chef veut qu’on lui sorte des scoops tous les jours. On remet ça à la semaine prochaine. Maman ne nous en voudra pas. Je t’appelle. Tchao frangin…

Une pointe de tristesse se lit dans le regard de SAM qui s’arrête sur une photo de lui et son frangin : deux beaux gars qui se marrent. Cela semble tellement loin.

Il attrape une télécommande et allume un écran plat qui trône sur le mur en face de son lit – l’intérieur de l‘app ;artement de SAM est rempli d’objets coûteux (électronique, meubles de prix….), mais ils semblent très peu utilisés -. Il zappe un instant et s’arrête sur une chaîne d’info continue.

PRESENTATRICE
Nous nous rendons maintenant Place de la Bastille où se déroule actuellement une manifestation pour la paix en réaction aux attentats de la semaine dernière. CHRISTIAN HADRIEN, le candidat indépendant, est en train de faire une déclaration. Nous l’écoutons.

CHRISTIAN HADRIEN apparaît sur l’écran.

CHRISTIAN HADRIEN
… Ces attaques contre le peuple Français sont inadmissibles. Je demande que des mesures concrètes soient prises immédiatement : traque et capture des terroristes. Cela doit être notre priorité. La France doit lancer un message clair : toute attaque suscitera des représailles.

SAM met le son quasiment au maximum et va prendre une douche.
Le timbre volontaire et emphatique de HADRIEN suit SAM jusqu’à ce que le bruit de la douche ne se fasse trop fort.

CHRISTIAN HADRIEN
… Toutefois, cette attaque aussi inadmissible soit-elle est, elle aussi porteuse d’un message, un message que les quatre cinquièmes de la population mondiale nous hurlent depuis des décennies. Nous ne pouvons continuer à laisser des centaines de millions d’individus dans le dénuement le plus total en train de mourir de faim. Les moyens dont nous disposons aujourd’hui ne nous le permettent pas. La manière la plus efficace de stopper ces actes de terreur est de se comporter en être humain et de refuser l’idée même qu’un enfant ne puissent manger à sa faim. Prenons-nous en main et arrivons à vivre en harmonie sur ce caillou perdu au milieu de l’univers !

La DOUCHE coule à flots couvrant l’émission. La caméra s’arrête sur le reflet du visage de SAM en train de se raser. Ses yeux expriment lassitude, regrets, dégoût. Il a le regard d’un homme qui ne croit plus à rien et qui ne voit les choses que dans leur aspect le plus cynique. Le contraste entre ce regard et le discours humaniste de HADRIEN est saisissant.


9. INTERIEUR – CHEZ SAM – JOUR PLUVIEUX.

Quand SAM entre dans la chambre, il est habillé dans des couleurs sombres (le noir est la couleur dominante de ses habits).
Nous entendons la suite de l’intervention de CHRISTIAN HADRIEN, maintenant interviewé par la PRESENTATRICE.

PRESENTATRICE
… Bien sûr, mais trouvez-vous moral d’utiliser une manifestation comme celle d’aujourd’hui pour satisfaire votre ambition personnelle ?
De nombreuses personnes qui manifestaient avaient perdu un être cher dans ces attentats. Croyez-vous qu’elles apprécient votre tentative de « récupération politique » de l’événement ?

CHRISTIAN HADRIEN
Je ne récupère rien, mademoiselle. Je partage la peine de ces gens. Je sais ce que c’est que perdre un être cher. Je n’ai pas parlé pour me faire élire, mais pour qu’on agisse. Je suis un homme d’affaires et je raisonne comme tel : un très grave problème nous est posé aujourd’hui en France et je propose des solutions pour le régler, à court terme et à long terme.

PRESENTATRICE
Et vous pensez être entendu ?

CHRISTIAN HADRIEN
Je l’espère. Si mon message est compris par ceux qui nous gouvernent, alors j’aurai fait mon travail. Je n’aurai même plus besoin de me présenter. Je suis là pour faire bouger les choses. Je suis riche. J’ai dirigé de grandes sociétés, avec succès, je dois dire. Je n’ai plus rien à prouver…

Pendant ce temps, SAM finit de s’habiller, sobre, mais classe. Il se dégage de lui une impression de rudesse et de virilité. Il fixe son revolver à la sa ceinture dans un geste machinal. Ses années de flic sont toujours là.

CHRISTIAN HADRIEN (off)
… Je suis ici pour vous. CUT

SAM repose la télécommande et s’empare d’un trousseau de clés sur une commode


10. EXTERIEUR – LES RUE DES PARIS – JOUR PLUVIEUX.

Une note sur un pare-brise : « avec les compliments de votre garagiste ». La main de SAM enlève le papier.
SAM sort de son garage à toute vitesse. Il conduit un « bugster » (petite voiture ressemblant à un buggy plus proche du kart que de l’automobile). Une capote en plastique le protège de la pluie. SAM retourne à l’Académie. Il zigzague entre les voitures (SAM conduit vite – la position de conduite très basse renforce l’impression de vitesse… et de danger) et nous offre un nouveau panorama de Paris : L’île de la Cité, Notre Dame, Boulevard Saint Jacques, les petites rues de Saint-Germain des Prés puis le Boulevard Montparnasse. La police est omniprésente dans la ville. La paranoïa liée aux attentats est sensible.
Il s’arrête sur une place de livraison devant l’Académie. Il sort de son « bugster » et court jusqu’à la porte.
Il frappe violemment à la porte. Pas de réponse. Il insiste.

SAM
GIPSY !

Toujours rien. Il tente d’actionner la poignée de la porte…


11. INTERIEUR – L’ACADEMIE – JOUR PLUVIEUX.

… Qui s’ouvre…
L’intérieur est sombre. Un poste de radio GRESILLE. On reconnaît « Losing My Religion » de REM. Tout est rangé. Les tables de billard alignées sont vides, les queues rangées sur leurs râteliers. Au fond de la salle, une lumière filtre par le bas d’une porte. C’est de là que provient la musique. L’endroit sent la mort.
SAM se dirige vers la pièce. Il n’aime pas ça. Il sort son revolver Arrivé devant la porte, il hésite un instant sur la conduite à tenir. Finalement, il donne un grand coup de pied sur la porte qui s’ouvre avec fracas. Le regard de SAM se fige. Des flashes montrent GIPSY la tête projetée en arrière, la gorge ouverte et les lèvres tailladées jusqu’aux oreilles. Ce n’est pas de l’horreur que nous lisons dans le regard de SAM, mais une résignation et un dégoût envers l’espèce humaine. La MUSIQUE emplit la pièce.


12. EXTERIEUR – DEVANT L’ACADEMIE– JOUR PLUVIEUX.

Une batterie de flics encadre la porte de l’Académie. Le corps de GIPSY enveloppé dans une bâche de plastique sort sur une civière. Deux ambulanciers attendent le corps devant leur véhicule. Ils se marrent à l’abri du coffre ouvert.
Toute la rue est barrée. Bien qu’il s’agisse d’un meurtre, de telles mesures semblent disproportionnées. Les attentats ont créé une vraie paranoïa.
SAM regarde tout ça : les condés qui interrogent les témoins potentiels, la police scientifique qui ramassent les bouts de preuves, les préposés au cordons de sécurité et la foule qui vient prendre sa ration de sensations fortes. Sa mélancolie avoue qu’il a vécu tout ça et qu’il vendrait son âme pour en faire à nouveau partie.
Il y a LA FOULE également, avide de sang et de spectacle malsain.
On remarque un HOMME AUX CHEVEUX GRIS mais SAM n’y porte pas une attention particulière.

DAVE le tire de ses pensées

DAVE (lunettes de soleil sur le crâne)
SAM, REYNALD voudrait entendre ce que t’as à dire. Il a dû douiller le père GIPSY avant d’y passer…

SAM
Y a personne qui mérite de crever comme ça… Où est-ce qu’il est REYNALD ?

DAVE
Chez RAOUL. Il t’attend.

SAM
T’as parlé du latino, GOMEZ ?

DAVE
Ils ne savent même pas que j’étais là hier, et je préférerais que ça reste comme ça…

SAM tourne les talons et remonte la rue vers le bar de RAOUL. Nous le suivons au travers de la foule des POLICIERS et des INFIRMIERS. Il croise une JOURNALISTE et un CAMERAMAN qui passe de flic en flic à la recherche d’infos. En vain. Il est dans son élément mais cela reste un étranger. Il avance jusqu’au bar de RAOUL dont…


13. INTERIEUR – CAFE CHEZ RAOUL – JOUR PLUVIEUX.

… Il ouvre la porte.
CHEZ RAOUL est le café qui fait face à l’Académie. C’est un endroit que Audiard ou Renaud auraient apprécié. Dans le fond de la salle, derrière une porte basse, il y a un magnifique billard.
Au bar, un mec en costard fume une clope en l’attendant. REYNALD.
Juste devant lui, RAOUL, la soixantaine bien sonnée, borgne, mais portant beau, prépare des cafés.

SAM
Tu m’en sers un, s’il te plait, RAOUL.

RAOUL (lui tendant une des tasses qu’il vient de préparer)
Sale coup pour le gars GIPSY. Je l’aimais bien ce magouilleur, surtout depuis qu’il m’avait refilé le billard, mais te dire que je suis étonné…

SAM
Les allumettes…

RAOUL
Quoi les allumettes ?

REYNALD
A force de jouer avec, tu te brûles.

SAM boit son café. Il laisse venir REYNALD.

REYNALD
Sympa de nous avoir prévenu SAM. Ca doit te rappeler des souvenirs, Pas vrai ?

La main de SAM se crispe légèrement mais il continue à boire son café.

REYNALD
Qu’est-ce que tu sais, SAM ? Qu’est-ce que tu venais foutre chez GIPSY ?

SAM
Une petite visite…

REYNALD
Joue pas à ça. Avec les attentats, on a le droit d’arrêter toutes les sales gueules qu’on veut et la tienne, elle ne m’est jamais revenue. Qu’est-ce que tu lui voulais à GIPSY ?

SAM se retourne. Le regard est noir, mais il se contient.

SAM
On devait se parler…

REYNALD
De quoi ?

SAM
Il a pas été plus précis et maintenant, c’est un peu tard pour lui demander.

REYNALD
Tu trempes dans ses magouilles ?

SAM
M’emmerde pas BERNARD. J’ai retrouvé GIPSY mort ce matin. J’appelle les flics. Ensuite c’est à vous de jouer. Ca s’arrête là.

REYNALD
T’as pas l’air dévasté par l’émotion, toi. T’étais son pote, non ?.

SAM
Ouais... Son pote, pas sa nourrice.

Les deux mecs se fixent, histoire de savoir qui a la plus grosse. REYNALD est le premier à décrocher..

REYNALD
Il trempait dans la dope GIPSY, la colombienne ?

SAM
Pas que je sache. Qu’est ce qui te fait dire ça ?

REYNALD
Ce qu’on lui a fait, à GIPSY… C’est une cravate colombienne. C’est comme ça qu’ils s’occupent des balances, dans les cartels.

SAM
Je pensais qu’ils étaient à la rue, les cartels, depuis Escobar…

REYNALD (sortant un porte-monnaie miteux de sa poche)
C’est vrai… Mais il y a des traditions qui ont la vie dure… Et puis, le savoir-faire s’exporte…. Vue ta gueule, ça doit pas rapporter des masses le boulot de privé de nos jours… Je t’offre le café. Cela m’a fait plaisir de te revoir SAM. On se tient au jus (il mime un téléphone avec ses doigts).

REYNALD sort. La JOURNALISTE entre suivi de son CAMERAMAN.

Aucun commentaire: